Amnistie ou auto-amnistie
73 % des infractions pénales poursuivies devant les tribunaux relèvent du code de la route. Maître Jean-Baptiste Iosca mesure pour nous les raisons qui amènent à penser qu’une amnistie sur ce type d’infractions ne pourra qu’être très limitée. Et d’avancer que le moyen le plus sûr d’être amnistié... est de créer les conditions de celle-ci individuellement. Il développe brillamment son point de vue dans la seconde partie de son propos.
Le mariage du permis à point (créé) en 1992 et des radars automatiques (installés à partir de 2003) explique l'envoyée des infractions constatées.
En 2003 il y avait 50 radars pour 1.600.000 infractions constatées.
En 2004, 240 radars et 3.100.000 infractions (80% des procès verbaux pour excès de vitesse provenant des radars automatiques et 80% de ces excès de vitesse inférieurs à 20km/h).
Dans les faits : 21.000 permis retirés en 2003, 54.242 en 2005 et 70.000 en 2006 ! Conclusion : entre 1,5 et 2 millions de personnes conduisent à l’heure actuelle sans permis de conduire !
La problématique routière de l’élection de 2007 est simple :
comment calmer l’irritation des automobilistes sans remettre en question l’acquis majeur du quinquennat de Jacques Chirac ? D’un côté, l’amélioration substantielle de la sécurité routière. De l’autre, le champ des mesures d’amnistie qui se réduit à chaque élection présidentielle.
Ainsi, de 1981 à 2002, le nombre des domaines d’exclusion de l’amnistie (c’est à dire les crimes et les délits indélébiles) a plus que triplé, passant de 14 à 49.
Une loi peau de chagrin
A titre de rappel, la loi de 1981 limitait l’exclusion à la conduite en état d’ivresse et aux délits de fuite liés à des blessures involontaires.
Puis la loi de 1995 excluait, outre ces infractions, tous les délits au code de la route, ainsi que les contraventions entraînant le retrait de plus de trois points du permis de conduire. Toutefois, conformément aux engagements du président Chirac pendant la campagne présidentielle, les contraventions de stationnements payant, de stationnement abusif, et de stationnement gênant, étaient amnistiées, sauf lorsqu’il s’agissait de stationnement sur des emplacements réservés aux véhicules de service public ou réservés aux personnes handicapées. Le défaut de port de la ceinture de sécurité ou la conduite avec un téléphone portable étaient exclus de l’amnistie.
Après la réélection de Jacques Chirac, la loi d’amnistie de juillet 2002 excluait de son bénéfice tous les délits routiers. Cependant, les contraventions pour stationnement interdit ou gênant étaient amnistiées.
Le champ des exclusions n’a donc cessé de s’élargir de telle sorte que l’amnistie ne sera plus, dans un futur proche, qu’un mot vidé de sens !
La répression apparaît comme la seule réponse de l’Etat aux comportements dangereux de certains conducteurs.
Constatant que le nombre de tués sur les routes françaises a brutalement augmenté de 13,9% en janvier 2007 (394 personnes), le gouvernement craint qu’une amnistie n’encourage les automobilistes au relâchement.
Presqu'un consensus
C’est pourquoi les annonces des présidentiables, sauf celle de Jean-Marie Le Pen, n’ont guère laissé de doute sur leur position. De gauche à droite, le consensus concernant l’amnistie s’apparenterait à un gouvernement italien : l’étiquette est différente mais ils pensent tous la même chose !
Passons en revue quelques unes d’entre elles.
- Julien Dray (PS): « concernant la violence routière il n’y aura aucune amnistie ».
- Ségolène Royal(PS): « Le moindre relâchement dans les comportements a immédiatement des conséquences dramatiques », « Je suis opposée à l’amnistie des infractions au code de la route ».
- Dominique Perben (UMP): « les automobilistes ne devraient pas s’attendre à une amnistie des infractions routières à l’occasion de l’élection présidentielle »
- Nicolas Sarkosy (UMP): ouvertement déclaré être contre tous principes d’amnistie.
- Jean-Marie Le Pen (FN): « Je suis pour l'amnistie de toutes les infractions n'ayant pas mis en danger la vie d'autrui. »
- Et pour mémoire, même s’il n’est pas candidat, Jacques Chirac :
opposé à toute amnistie des infractions au code de la route, hormis le stationnement non-dangereux.
Le Code de la Route permet d’organiser son amnistie administrativement et judiciairement.
A) Administrativement
- Le paiement de la contravention
L’article L 223-1 du code de la route précise que « la réalité d’une infraction entraînant retrait de points est établie par le paiement d’une amende forfaitaire, ou l’émission du titre exécutoire de l’amende forfaitaire majorée, l’exécution d’une composition pénale ou par une condamnation définitive ».
Le moyen le plus sûr de conserver son permis de conduire consiste dans le refus de payer l’amende.
En effet, c’est le paiement de l’amende, simple ou majorée, qui emporte retrait de points. D’une certaine façon, payer une amende c’est reconnaître l’infraction.
Or l’administration s’est libérée de cette contrainte en s’inscrivant dans l’illégalité puisqu’elle retranche des points sur le permis de conduire sans attendre le paiement de la contravention.
Le retrait de point(s) est alors illégal et les tribunaux tant judiciaires qu’administratifs, par une jurisprudence constante, censurent ce type de retrait illégal de points (jurisprudence).
- La signature de la contravention par l’automobiliste
« Le contrevenant est dûment informé que le paiement de l’amende entraîne reconnaissance de la réalité de l’infraction et par-là même réduction de son nombre de points » (article L 223-1 du code de la route).
Aux termes des articles L 223-3 et R 223-3 du code de la route, le conducteur à l’encontre duquel est relevée une infraction faisant encourir une perte de points doit recevoir au moment de sa verbalisation un document faisant état :
- du nombre de points susceptibles d’être perdus ;
- des dispositions de l’article L 223-2 du code de la route relatives au mode de calcul du nombre de points susceptibles d’être perdus ;
- de l’existence d’un traitement automatisé de son capital de points et des pertes et reconstitutions de points sur ce capital ;
- de la possibilité d’avoir accès aux informations le concernant selon les modalités définies aux articles L 225-1 à L 225-9 du code de la route ;
- que le paiement de l’amende forfaitaire vaut reconnaissance de la réalité de l’infraction et entraîne la perte de points correspondantes
Cette information réglementaire est substantielle et son absence et/ou sa défaillance empêche le retrait de points.
Cette preuve incombe à l’administration, qui doit établir la réalité et de la conformité de cette information avec l’article L 223-3 du code de la route et ces informations ne seront opposables qu’à la condition de signer le procès-verbal qui les comporte.
Les juridictions administratives estiment que le défaut d’information empêche le retrait de point(s).
En somme, le moyen le plus sûr de ne pas perdre de points consiste dans le refus (ferme mais poli) de signer la contravention que l’agent verbalisateur rédige à l’attention de l’automobiliste
B) Judiciairement
En matière judiciaire, la relaxe des fins de la poursuite pour vices de procédure est une amnistie particulière. En effet, quand celle-ci est prononcée, non seulement le prévenu est exempté de peines judiciaires (annulation, suspension du permis de conduire, amende) mais surtout aucun retrait de point(s) ne peut s’appliquer.
Le code de la route fourmille d’infractions, mais au titre de celles qui sont les plus sujettes aux vices de procédure, la conduite en état d’ivresse est certainement la plus parlante, mais l’excès de vitesse l’excès de vitesse n’est pas en reste.
L’alcoolémie au volant
L’éthylomètre est l’appareil servant aux mesures de concentration d’alcool dans l’air expiré. Son fonctionnement est relativement simple. Le conducteur est invité à souffler dans un tube pourvu de deux capteurs. C’est la vitesse de déplacement du signal envoyé et reçu par les capteurs gêné par la concentration d’alcool qui détermine la concentration d’alcool dans l’air expiré.
Et il apparaîtra immédiatement au lecteur que la fiabilité de l’appareil est fondamentale. Les vices de procédure ( plaidé «in limine litis» - au début de l’instance ) sont particulièrement nombreux :
1) Marque, modèle et numéro de l’appareil
Les fabricants sont nombreux mais un seul totalise prés de 80 % du parc, la marque SERES, qui fabrique plus particulièrement le modèle 679 E ou T qui est en dotation dans les commissariats de police et de gendarmerie. Chaque SERES 679 E ou T est identifiable par un numéro de matricule particulier à 4 ou 5 chiffres.
Autant dire que de nombreuses procédures sont viciées car omettant de préciser le modèle ou le numéro de matricule de l’appareil. Et dans cette hypothèse, ni le ministère Public ni la défense ne sont en mesure de déterminer l’appareil ayant servi au contrôle.
2) Date de vérification de l’appareil par la DRIRE
Sous cette dénomination barbare se cache la Direction Régionale de l’industrie, de la Recherche et de l’Environnement. C’est cet organisme qui est en charge de la vérification des appareils une fois par an.
En application des articles 10 et 11 du décret n° 85-1519 du 31 décembre 1985, les procès-verbaux doivent faire apparaître la date de première vérification de l’appareil ainsi que la date de prochaine vérification soit la date de validité de l’appareil.
La jurisprudence considère que le défaut de ces mentions permettant de vérifier de la validité de ces contrôles emporte nullité du contrôle.
3) Vérification de l’appareil entre les deux souffles
L’article R 234- 4 2° du code de la route prévoit que l’éthylomètre doit être vérifié entre les deux souffles. C’est à dire que les forces de police doivent, à peine de nullité du procès verbal, remettre l’appareil à zéro et s’assurer de son bon fonctionnement.
Les forces de police omettent régulièrement de vérifier l’appareil servant au contrôle entre les deux souffles.
Cette absence vicie le procès verbal à peine de nullité du contrôle.
En somme, ne rien attendre de l’Etat c’est l’assurance de ne pas être déçu mais préparer son amnistie, c’est la certitude d’être bien défendu.
L’excès de vitesse par radars automatiques
Tout le monde connaît ces «appareils photos routiers» n’opérant aucune distinction entre le dépassement de 1 km/h au-dessus de la vitesse autorisée à 280 km/h.
Il est utile de savoir que 40 à 45 % de ces clichés de « paparazzi » (un peu spéciaux) ne sont pas exploitables. Et ne peuvent pas emporter de retrait de point ni de peines judiciaires. Il existe, là encore, un certain nombre de vices de procédure. Mais il est nécessaire avant toute défense de demander la photo.
Conditions de validité des clichés :
1) Une seule voiture pas photographie
Le déclenchement du flash est conditionné par le déplacement de l’air provoqué par le véhicule en mouvement (effet Doppler).
Si un autre véhicule apparaît sur la photographie, personne ne pourra déterminer lequel des deux véhicules a déclenché le dispositif
2) L’impossibilité d’identifier le conducteur ou le «pécuniairement responsable» En tout état de cause, si la photographie ne permet pas de déterminer qui est le conducteur, le 4 de police relaxera des fins de la poursuite le propriétaire du véhicule ou n’aura comme seule alternative que de la condamner au paiement de l’amende.
En tout état de cause, si la photographie ne permet pas de déterminer qui est le conducteur, le 4 de police relaxera des fins de la poursuite le propriétaire du véhicule ou n’aura comme seule alternative que de la condamner au paiement de l’amende.
En outre souvenons-nous que la dénonciation n’est nullement une obligation légale et qu’au contraire, chacun se doit que refuser cette pratique d’un autre temps qui assombri le passé de la France.
A lire : « La France sans permis » par Airy Routier (Albin Michel éditeur ; 246 pages ; mars 2007)
L’amnistie est le fruit d’une très longue tradition. Elle est née à Athènes au Véme (le mot doit beaucoup au grec « amnêstos » qui signifie « oublié ») lorsque les citoyens réunis en assemblée décidèrent de se réconcilier entre eux et avec le passé en adoptant la toute première loi d’amnistie de l’histoire.
Les siècles qui suivirent, la pratique de l’amnistie s’est étiolée, même si la République Romaine connue des amnisties célèbres, l’une d’elles selon Plutarque, fut décrétée par le Sénat, sur la proposition de Cicéron, en faveur des meurtriers de César.
Le Moyen-Age fut le moment du pardon accordé par les seigneurs puis par les rois, pardon individuel ou rémission collective qui s’apparentait à l’amnistie, conformément à l’adage selon lequel toute justice émane du roi.
C’est la Révolution qui fit renaître l’amnistie, laquelle fut même la seule procédure de clémence jusqu’à ce que Bonaparte réintroduise la grâce dans le droit français, sans supprimer pour autant l’amnistie.
Après la Révolution, toutes les républiques firent de l’amnistie une prérogative du pouvoir législatif.
Dés les débuts de la IIIéme République, l’amnistie illustre aussi la fraternité républicaine inscrite sur les frontons des lieux publics.
Pour le Général De Gaulle : « Il s’agit de panser les blessures »
La Constitution de 1958 perpétue cette tradition républicaine dans son Article 34. Car au-delà de la portée symbolique et historique, l’amnistie est bien une tradition de la République, qui a dû au fur et à mesure qu’elle s’est établie dans les institutions et dans les esprits, cicatriser les plaies de l’histoire, après la Commune, après l’affaire Dreyfus, aux lendemains des guerres ou des événements violents qui déchirent la Nation.
L’amnistie est la disposition temporaire et exceptionnelle qui consiste à abandonner une poursuite ou une peine à l’égard d’un justiciable ayant commis une infraction spécifique. Tradition française datant de 1958, elle consiste en une modulation de la politique de sanction qui est justifiée par des circonstances exceptionnelles (l’élection présidentielle dans le cas présent).
C’est en effet une loi républicaine, de générosité et de tolérance, qui vient régulièrement, et en particulier après chaque élection présidentielle, affirmer, par l’effacement de certaines infractions, la valeur de la réconciliation et de la cohésion nationale.
Au fil des années, le champ de l’amnistie varie donc en fonction des exigences fondamentales de la République. Il s’agit de « panser les blessures » selon l’expression du général De Gaulle, il s’agit aussi, dans une France réconciliée avec elle-même, d’affirmer des valeurs : valeurs de générosité, de tolérance, et de solidarité, valeur du civisme, de la responsabilité, de la sécurité.