Fiche A : requalifier une alcoolémie viciée en ivresse manifeste injustifiée ?


Les vices de procédure sont nombreux en matière de conduite en état d’alcoolémie (C.E.A) et il suffira d’un seul d’entre eux pour entraîner la nullité de la procédure devant le Tribunal Correctionnel. Mais dans cette hypothèse, le Procureur de la République peut requérir malgré tout, à l’audience, une condamnation s’il prouve et démontre que l’automobiliste était, au moment du contrôle routier, en état d’ivresse manifeste (C.E.I). Cette infraction jumelle de la conduite en état d’alcoolémie est réprimée par les mêmes peines (jusqu'à 4500 euros d'amende, jusqu'à trois ans de suspension du permis de conduire, jusqu'à deux ans de prison (art. L.234-1 du Code de la route).

Il ne s’agit plus de taux d’alcool dans l’air expiré ou d’utilisation d’appareil sophistiqué (éthylomètre) ni encore de procédure pénale violée mais plutôt de constatations visuelles des policiers, d’éléments factuels concernant l’état de l’automobiliste. Et pour que ce « rafistolage judiciaire » soit possible, pour prouver cet état d’ivresse manifeste, le Ministère Public s’appuiera sur une formulaire - la fiche « A » - remplie par la police ou la gendarmerie au moment de l’interpellation de l’automobiliste.

Le remplissage obligatoire d’une fiche A :

La fiche « A » est un formulaire rempli par les policiers ( Police Nationale ou gendarmerie) au moment de l’interpellation d’un automobiliste alcoolisé et avant de souffler dans l’éthylotest (Ballon). L’état physique et psychologique de l’automobiliste y est consigné sommairement invitant les policiers à cocher des cases pré-imprimées. Une fois cette fiche d’une dizaine de questions renseignées comme un questionnaire à choix multiples (Q.C.M), les policiers remplissent un tableau récapitulatif dans lequel ils résument l’attitude et l’état de ce dernier à l’interpellation. (Les aspects particuliers sont notés puis on en tire la conclusion : ivresse manifeste ou pas …)

Le formulaire de la fiche A se présente ainsi :










































Attitude - Maître de soi
- Énervé
- Arrogant
- Agressif
Regard - Normal
- Anormal
- Yeux voilés
- Yeux brillants
Odeur de l’haleine - Sentant l’alcool
- Indéterminée
Elocution - Normale
- Pâteuse
- Bégayante
- Ne parle pas
Explications - Nettes
- Embrouillées
- Incohérentes
- Répétitives
- Ne parle pas
Equilibre - Tient debout
- Titube



Pourquoi cette fiche A manque totalement de fiabilité ? :

Ce sont ces 6 aspects particuliers du comportement de l’automobiliste qui devraient permettre, le cas échéant, la requalification en conduite en état d’ivresse manifeste.

Mais problème ! : chacun de ces comportements peut parfaitement trouver sa source dans une explication étrangère à l’alcool :

  1. En effet, suite à un accident, certains automobilistes, en état de choc, peuvent induire un comportement « énervé » ou « agressif ». De plus un contrôle estimé abusif ou discourtois peut entraîner chez certains automobilistes une vive réaction.

  2. Fatigué par une nuit blanche, il n’est pas rare d’avoir les yeux brillants… et avoir un regard « anormal ».

  3. Il faut se souvenir que « l’haleine sent l’alcool » seulement après l’absorption d’un seul verre d’alcool, ce qui ne peut pas représenter une concentration susceptible de poursuites contraventionnelles ni délictuelle et encore moins en état d’ivresse manifeste.

  4. Les explications fournies par l’automobiliste seront facilement « embrouillées », « incohérentes », « répétitives » face à des policiers, surtout si l’automobiliste est contrôlé pour la première fois, ou jeune. D’autres, plus facilement impressionnables, perdront leurs moyens et auront du mal à s’exprimer clairement …. Est ce à dire qu’ils sont ivres pour autant ?

  5. Certains automobilistes terrorisés par le gendarme pourront se réfugier dans un mutisme total sans qu’on puisse en tirer les conclusions d’un état d’ébriété avancé. Le code pénal protège le droit au silence de toute personne interrogé par la police, il est étonnant de constater que dans une procédure d’alcoolémie on en tire des conclusions à charge.

  6. Concernant l’équilibre, les fourches caudines du « tient debout » ou « titube » n’a pas vraiment de sens. En effet, il n’est pas rare, pour quelqu’un pris d’une grande fatigue ou choqué suite à un événement traumatisant titube; cet élément ne permet pas d’avoir de certitudes.


En somme, ce document judiciaire, forgé pour établie des certitudes, n’atteint pas son but et induit plus de questions que de réponses.

A titre de comparaison : faisons un tour de l’autre coté de l’atlantique : il n’est pas inintéressant de rappeler qu’aux Etats-Unis, les constatations policières doivent s’appuyer sur un comportement positif de l’automobiliste. En effet, pour que l’état d’ivresse manifeste soit relevé la personne doit sortir du véhicule, ne doit pas pouvoir marcher de façon rectiligne sur 15 mètres, tenir en équilibre sur un pied les yeux fermés 5 secondes et trouver le bout de son nez avec son index les yeux fermés. Ces « exercices » pratiques s’appuient sur la participation positive de l’automobiliste contrairement aux simples constatations policières en France et sont plus probants.

Cerise sur le gâteau, et comme si toutes ces questions stériles ne suffisaient pas, la fiche « A » finit sur une dernière question posée sous forme de conclusion reproduite ci-dessous :

En résumé l’intéressé semble :

Loin d’apporter des réponses concrètes, ce dernier tableau en forme de conclusion engendre (encore) d’autres questions inquiétantes :

  1. Quelles sont les différences entre « être sous l’influence de l’alcool », « être sous l’emprise d’un état alcoolique léger » et « être en état d’ivresse » ?

  2. L’état d’ivresse manifeste doit être évident et non discutable, l’est-il en cas d’état alcoolique léger ?

  3. Si la question permet 4 réponses différentes, peut-elle induire une seule qualification pénale, l’état d’ivresse manifeste ?


Il est à noter que bien souvent les policiers omettent de renseigner cette dernière question, et c’est bien naturel, en l’absence de formation médicale ou psychologique, il serait téméraire d’essayer de définir des frontières précises entre ces 4 états cliniques.

La loi (avant sa refonte dans le code de la Route) :

L’article R16 du code des boissons impose :
« Le contrôle d’alcoolémie opéré à l’aide d’un éthylomètre doit être précédé de l’examen de comportement du prévenu. » Cet examen est consigné sur la fiche A.

L’article R17 (Décret N°71-819 du 1er octobre 1971) « L’officier ou agent de la police administrative ou judiciaire appelé à constater l’infraction ou l’accident de la circulation procède, dans le plus court délai possible après celui-ci, sur les personnes mentionnées à l’article L88 du présent code, à un examen de comportement dont le résultat est consigné sur une fiche d’examen de comportement (Fiche A) »



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